Les outils numériques transforment de plus en plus la manière dont les entreprises se lancent, fonctionnent et se développent. Pourtant, dans de nombreuses régions d’Afrique de l’Ouest, les entrepreneurs en démarrage (en particulier les femmes, les jeunes et les personnes travaillant dans l’informel) rencontrent encore de nombreux obstacles pour accéder à ces outils et les utiliser. Des infrastructures numériques limitées, des problèmes d’accessibilité financière et un manque de soutien adapté rendent souvent difficile leur pleine participation à l’économie numérique.
Dans ce contexte, les structures d’appui à l’entrepreneuriat (SAE) jouent un rôle essentiel pour combler ces écarts. En tant qu’acteurs de proximité, les SAE cherchent à intégrer des outils numériques dans leurs programmes afin de toucher un plus grand nombre d’entrepreneurs, d’offrir des formations et du mentorat à distance, et de renforcer les communautés entrepreneuriales. Cette évolution ouvre de nouvelles perspectives, mais soulève aussi des questions importantes sur l’accessibilité, la facilité d’utilisation et l’inclusion.
Ce webinaire a réuni des intervenants du Bénin et du Sénégal qui pilotent des démarches de transformation numérique au sein de leurs organisations. Ils ont partagé leurs approches de l’utilisation des outils numériques dans des contextes de faible connectivité, ont réfléchi aux défis et aux réussites rencontrés, et ont discuté des conditions nécessaires pour renforcer les modèles d’appui des SAE dans un environnement numérique en pleine évolution :
Capucine Gonnord : Experte principale en développement des capacités et des réseaux, Enabel
Babacar Birane : Directeur général, Concree (Sénégal)
Francis Bokossa : Chef de projet Incubation et Accompagnement, Blolab (Bénin)
Thèmes clés et points à retenir
Les panélistes ont discuté de la manière dont les outils numériques sont utilisés pour renforcer l’accompagnement entrepreneurial en Afrique de l’Ouest. Ils ont abordé les facteurs qui rendent les outils numériques efficaces dans des contextes à faibles ressources, l’importance d’aligner les outils sur la stratégie et les besoins des communautés, ainsi que le potentiel de l’intelligence artificielle (IA) et des innovations mobiles pour transformer le fonctionnement des structures d’appui à l’entrepreneuriat (SAE). Les points ci-dessous résument les principaux enseignements tirés de leurs expériences.
Les outils numériques sont les plus efficaces lorsqu’ils s’ancrent dans une stratégie, pas dans la technologie
Un message récurrent a été que la transformation numérique commence par la stratégie, et non par la technologie. Les outils ne sont efficaces que s’ils appuient un modèle d’accompagnement solide. Avant d’adopter de nouveaux systèmes, les SAE doivent clarifier leurs objectifs, définir des processus clairs et identifier les points de friction où les outils numériques peuvent réellement apporter une valeur ajoutée. Un groupe WhatsApp ou un simple formulaire, s’il est bien intégré, peut avoir plus d’impact qu’une plateforme technologique peu utilisée. Beaucoup de défis viennent non pas du manque d’outils, mais d’un manque de préparation organisationnelle, d’adhésion du personnel, ou d’une stratégie de mise en œuvre floue.
Ne pas numériser ce qui ne fonctionne pas
Les panélistes ont mis en garde contre l’utilisation des outils numériques pour reproduire des approches d’accompagnement dépassées ou inefficaces. Sans des bases solides pour le mentorat, le suivi ou l’engagement, la numérisation peut simplement renforcer les dysfonctionnements existants. Dans certains cas, des outils introduits pour répondre aux exigences des bailleurs ou à des fins d’image sont peu utilisés, voire abandonnés. Les SAE doivent d’abord consolider le contenu et la qualité de leur travail avant d’ajouter des couches numériques.
L’inclusion numérique exige une conception contextuelle et centrée sur les personnes
La véritable inclusion numérique va au-delà des infrastructures : elle concerne la facilité d’usage, l’accessibilité et la proximité avec les communautés. Les outils doivent être conçus ou adaptés aux contextes de faible connectivité, à des niveaux de littératie variés, et à des styles d’apprentissage informels. Le modèle Blobus, conçu par Blolab au Bénin, en est un bon exemple : un hub mobile alimenté à l’énergie solaire qui offre un accès à Internet, des formations et des services de fabrication numérique dans des zones mal desservies. L’inclusion passe aussi par l’implication des membres des communautés comme facilitateurs actifs, tels que les “animateurs numériques” qui entretiennent l’engagement et stimulent l’apprentissage entre pairs.
La communauté est le moteur de l’engagement numérique
Les outils numériques ne fonctionnent que s’ils sont intégrés dans des communautés actives. Un exemple partagé concernait un groupe de femmes entrepreneures au Togo qui, en l’absence d’une plateforme formelle, a généré un fort engagement grâce à des défis hebdomadaires sur WhatsApp, des échanges d’expériences et du soutien entre pairs. Ce sont ces rituels et relations (et non l’outil lui-même) qui soutiennent une participation véritable.
L’IA a du potentiel, mais elle doit être ancrée dans l’éthique et la pratique
L’IA peut offrir des gains clairs aux SAE : alléger les charges administratives, aider les coaches à générer du contenu personnalisé, transformer des données brutes en informations exploitables. Mais les intervenants ont souligné que l’IA n’est pas une solution miracle. Son utilisation doit être guidée par des données locales, des méthodologies claires et des garde-fous contre les biais. Capucine Gonnord d’Enabel a conseillé de limiter l’utilisation de l’IA à des étapes précises d’un processus (et non au processus entier) et de systématiquement confirmer ses résultats avec les données du terrain, l’expérience personnelle et l’expertise technique avant de s’y fier. Concree a présenté le Lezgo Canvas, enrichi par l’IA, comme un exemple d’intégration responsable et concrète de l’IA dans les modèles d’accompagnement.
Les outils numériques peuvent ouvrir de nouvelles voies vers la durabilité
Certains SAE commencent à explorer comment les outils numériques, y compris l’IA, peuvent contribuer à des modèles de financement plus durables. Des approches comme les services freemium, l’analyse de données ou le contenu pédagogique personnalisable offrent de nouvelles manières de répondre aux besoins des entrepreneurs tout en générant des revenus au-delà du financement classique des bailleurs. Mais ces outils ne remplacent pas l’expertise humaine. Les panélistes ont souligné que les outils numériques peuvent réduire le temps consacré aux tâches répétitives (comme la production de plans d’affaires), permettant ainsi au personnel de se concentrer sur des activités plus qualitatives, comme le mentorat individuel et l’appui sur mesure.
Ressources complémentaires
Sur l’entrepreneuriat numérique durable au Bénin :
Sur les transformations numériques en Afrique :
Sur l’accompagnement entrepreneurial en Afrique francophone :